Vous l’avez souvent lu dans nos lignes, le premier trésor d’Apple, avant même ses innovations et ses brevets, c’est son image de marque. Pourtant, l’entreprise parvient à bichonner son image sans avoir l’air d’y toucher, sans effort visible, sans plan de com’ tonitruant, de quoi faire figure de tour de force.
Il faut dire que la société californienne ne communique pas comme les autres : jamais on n’entend parler de cœur de cible, et très rarement d’objectifs de vente, lors des conférences trimestrielles. On pourrait presque croire qu’Apple se comporte en petit artisan de l’informatique. Alors que Steve Jobs était interrogé sur le cours de l’action de son entreprise, il s’était contenté de répondre que l’essentiel pour Apple était de proposer les meilleurs produits possible, et que la bourse ne pouvait que suivre.
La conférence TED (pour Technology Entertainment Design) est un événement qui réunit chaque année de nombreux intervenants hors du commun (Bill Clinton, Bono, Al Gore, Bill Gates, Sergey Brin et Larry Page, les deux fondateurs de Google, nombre de prix nobels, etc) présentant chacun des allocutions de grand intérêt. A vrai dire, nombre d’entre eux ne démériteraient pas dans une campagne “Think Different” : iconoclastes, visionnaires, chacun dans son champ d’application vise, à sa mesure, à changer le monde. La qualité de ces conférences s’en ressent dans le tarif d’entrée : 6000 dollars à l’année, et sur invitation uniquement, ce qui est loin de la mettre à la portée de tous. Or depuis 2006, plus de 400 conférences sont accessibles gratuitement sur Internet. C’est notamment lors d’une de ces conférences en 2006 qu’on a pu voir la présentation d’un écran multitouch, qui avait fait le tour du net (nous vous recommandons chaudement de jeter un œil à leur catalogue, nombre de conférences valent largement le détour).
Or c’est lors d’une conférence donnée par Seth Godin en février 2003 qu’on réalise que l’approche d’Apple en matière de marketing est sans doute beaucoup plus subtile qu’il n’y paraît. (voir la vidéo ci-dessous).
Les américains ont une expression : “on a rien fait de mieux depuis l’invention du pain en tranche”. Le conférencier commence par se pencher justement sur le pain en tranche, pour en expliquer le succès, qui n’était pas au rendez-vous dès le départ, et en profite pour appuyer sa démonstration dessus.
La conférence part du constat que les médias de masse et l’approche publicitaire globale sont morts : à vouloir parler à tout le monde en général, on ne s’adresse à personne en particulier, et on ne capte pas l’intérêt du public. La solution c’est donc de s’éloigner du modèle de consommation de masse, pour ne s’adresser qu’à un groupe plus restreint de personnes (souvent appelées early adopters ou leaders d’opinion), mais leur parler de ce qui les concerne. Ainsi, au lieu d’interrompre les gens dans leur quotidien par des publicités qui ne les concernent pas, les industriels peuvent s’appuyer sur une fidèle escouade d’aficionados tous voués à propager le bouche-à-oreille, fiers de montrer leur dernière acquisition qui les distingue tellement de monsieur tout-le-monde. Premier point commun : Apple a toujours proclamé qu’elle se satisfaisait amplement de son marché de niche, bien qu’elle n’aie jamais craché sur une augmentation de ses parts de marché, et nul n’ignore la fidélité des clients d’Apple, réputés pour leur fanatisme. On en trouve d’ailleurs un parmi les conférenciers de TED, en la personne de David Pogue, qui démontre avec talent la supériorité de la simplicité, avec de nombreuses références à Apple.
Seth Godin poursuit en disant que pour que votre produit soit remarqué et sorte du lot, il faut qu’il soit remarquable. Il ne faut pas se contenter de faire une énième voiture, il faut que ce soit LA voiture. Et pour ce qui est de se faire remarquer, Apple ne s’en laisse pas conter dans ce domaine. Des magasins tout en verre, y compris l’escalier (breveté), jusqu’au design à la pointe de ses produits, en passant par la livraison du Spartacus en limousine avec chauffeur en livrée, Apple ne fait rien comme les autres, à part quand les autres font comme Apple. A tel point qu’Apple parvient à conserver une image d’innovation, alors que dans la plupart des cas, elle se contente de proposer une bien meilleure version d’un produit déjà existant.
S’il fallait encore se convaincre du parallèle avec Apple, Seth Godin lui-même le fait en évoquant les fameuses keynotes de Steve Jobs : «Si Steve Jobs durant une keynote parle à 50.000 personnes, qui sont tous connectés depuis 130 pays, à regarder sa publicité de deux heures — c’est la seule chose qui a maintenu sa société en vie — c’est que ces 50.000 personnes sont suffisamment avides de savoir pour regarder une publicité de 2 heures, et ensuite en parler à leurs amis.»Pour résumer donc : soyez remarquable, trouvez le public qui est susceptible de se passionner pour votre produit, et donnez lui ce qu’il veut. Dit comme ça, ça semble frappé au coin du bon sens. Et effectivement, ça ressemble trait pour trait à l’approche commerciale d’Apple. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à suivre cette méthode, outre les exemples donnés par Seth Godin dans sa conférence. Dans le domaine de l’informatique, Google ou encore Free suivent les mêmes préceptes.
Mais dans ce cas, il serait naïf de ne pas remettre en cause la sincérité d’une telle démarche : tout ça n’aurait donc pour seul et unique but que de faire un peu plus d’argent? Peut-être… peut-être pas. Après tout, si Apple peut gagner de l’argent tout en étant fière de ce qu’elle produit, et si de l’autre côté du spectre, ses clients ne s’en portent que mieux, n’est-ce pas cette finalité qui compte le plus? D’autres ne gagnent pas moins d’argent tout en ayant moins de motifs de satisfaction quant à leur production. A tout prendre, cette approche semble donc toujours préférable, quels qu’en soient les premiers objectifs.