C’est un sacré coup dans les dents que le Parlement européen a mis au système de riposte graduée imaginée par la France pour lutter contre le piratage sur Internet. La riposte graduée, au cœur du projet de loi Création et Internet, consiste à envoyer un message d’avertissement aux internautes téléchargeant illégalement des œuvres protégées. Puis un autre averto en cas de récidive. Et, si l’internaute persévère, intervient la coupure complète de l’accès à Internet pendant plusieurs mois. Le tout étant mis en place sous le contrôle d’une autorité administrative créée pour l’occasion : Hadopi.
Ressort. Hier le Parlement européen a voté en séance plénière le «Paquet Télécom» en première lecture. Ce dernier comprend quatre rapports qui doivent permettre de définir le cadre des prochaines réglementations relatives aux télécommunications en Europe. Mais, depuis quelques mois, la question des contenus et de la défense de la création s’est invitée au débat. Les représentants des ayants droit ont commencé à injecter des amendements évoquant les «contenus licites» et un système d’avertissements pour les internautes fautifs. Puis, mécaniquement, les opposants au projet français se sont empressés de dénoncer cette intrusion. Il semble que ces derniers aient eu le dernier mot hier.
L’amendement 138, déposé la semaine dernière par les eurodéputés Guy Bono, Daniel Cohn-Bendit et Zuzana Roithová, a été approuvé par une très large majorité : 573 pour, 74 contre. Il établit qu’«aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire». En gros, couper Internet ne peut -être que du ressort de la justice. Adieu Hadopi ?
«On ne joue pas comme ça avec les libertés individuelles. Le gouvernement français doit revoir sa copie ! se réjouit Guy Bono. Cet amendement démontre que l’Europe est consciente que certains Etats membres veulent contourner l’autorité judiciaire.»
Au ministère français de la Culture, on tente de relativiser la portée de l’amendement : «La suspension d’Internet est-elle vraiment une restriction d’une liberté fondamentale ? Ça reste à voir. Pour l’instant, nous considérons que ce n’est pas une remise en question du projet français. L’interprétation de Guy Bono n’est pas forcément la bonne, il faut aussi connaître celle de Mme Trautmann, qui est rapporteure du Paquet Télécom.»
Risque. Effectivement, le projet français de riposte graduée n’est pas au centre des discussions sur le Paquet Télécom. Mais, explique-t-on au cabinet de la socialiste Catherine Trautmann, «si le projet Hadopi est remis en cause par l’amendement 138, il s’agira d’un dommage collatéral».
Et de renvoyer la balle au ministère de la Culture : «Il faut que le gouvernement français fasse sa propre analyse du texte de l’amendement. S’il s’avère que la riposte graduée va à l’encontre du principe fondamental que nous n’avons fait que rappeler, il faut s’interroger sur la viabilité même du système.»
En effet, rien n’interdit au gouvernement de présenter le projet de loi Création et Internet en l’état au Sénat, puis à l’Assemblée nationale, comme prévu. Mais ce serait alors prendre le risque qu’un tribunal statue par la suite sur sa non-conformité au droit européen.
«Les députés européens connaissent très bien la portée de ce qu’ils viennent de voter : couper Internet est une atteinte à la liberté d’expression qui est un droit fondamental, précise-t-on dans l’entourage de Guy Bono. En pleine présidence française de l’Union européenne, le gouvernement français ne peut pas s’amuser à piétiner l’avis du Parlement sur une question aussi importante.»
Source : Libération